113ème devoir de Lakevio du Goût
Cette toile de Joseph Lorusso me pousse à me poser quelques questions.
Dont celle-ci : Que fait cette femme, là, dans ce café ?
Je crois avoir une idée.
Elle ne vaut sûrement pas les vôtres mais je vous en ferai part lundi.
Si je n’ai pas trop de cartons à faire…
L'attente
Que faisait-elle donc là, le regard dans le vague, la mine désabusée, avec cette robe, triste comme devait l'être son âme. J'étais dehors à attendre, la voyant à travers la vitre de ce bistro infâme avec ses vieilles banquettes qui sentaient certainement le moisi et la nicotine.
Elle a le regard vide, ai-je pensé. Qu'est-ce donc qui vide un regard ? C'est comme une fenêtre éteinte, on voit une béance noire. Peut-être qu'il reste de la vie quelque part. Cette femme m'attristait. Il est vrai que je n'étais moi-même pas très brillant. Et si j'osais rentrer la rejoindre. M'asseoir en face d'elle, à condition bien sûr qu'elle ne sente pas l'alcool, parce que vu la bouteille vide, le verre vide, le café déjà bu pour tenter de noyer le pinard, je commençais à avoir des doutes. Une femme pilier de banquettes ai-je songé avec un sourire déplacé.
J'étais comme elle. J'attendais. Enfin je crois qu'elle attendait celui ou celle qui ne viendra pas. Et moi ? Est-ce qu'elle viendra ?
— Rendez-vous au coin de la rue du Pont et de l'avenue de la République à 11 heures. Je serai peut-être un peu en retard, t'inquiète pas.
Peut-être qu'il lui a dit la même chose à elle, qui attend dans le bistro. Peut-être que c'était il y a déjà une semaine et que tous les jours elle revient à 11 heures.
Elle et moi on devrait faire un élevage de lapins !
L'attente et le vide, voilà peut-être ce qui nous caractérise tous les deux. Est-ce qu'on pourrait faire un deal avec ça ? Est-ce que ce n'est pas le moment ou jamais dans ce monde incertain ? Je commence à avoir froid il se met à pleuvoir une bruine dégueulasse, celle qui s'infiltre partout sous les vêtements et finit par te brûler la peau glacée. Je crois que je vais me décider à pénétrer dans ce bistro, parce que ça devient pire dehors. Je m'apprête à pousser la porte quand tout à coup j'entends cette voix sublime entre toutes :
— Je suis là chéri ! Pardon, pardon, pardon pour mon retard ! Je t'aime je t'aime je t'aime !
Elle m'entoure de ses bras et tout à coup me voici réchauffé par son baiser brûlant sur mes lèvres.
— Viens vite, j'ai des choses extraordinaires à te raconter.
Au restaurant, elle m'expliqua de quoi il s'agissait. Ce n'était pas si extraordinaire que ça, mais sympathique assurément. Mais elle était comme ça ma nana, ma chérie, ma fleur sauvage, tout devait être extraordinaire, du sol au plafond !
Tout en l'écoutant, je voyais devant moi la fille du bistro. Est-ce qu'il est enfin arrivé ? Est-ce qu'il y a osé un truc brûlant sur ses lèvres ? Est-ce qu'il a dit à la cantonade : « Garçon ! Remettez-nous ça ! ». Est-ce qu'elle a soufflé à son oreille : « Tu sais bien que je t'aime ! »
Bonjour Alain .Ouf, elle est arrivée au bon moment, elle , avec son amour exubérant évitant ainsi qu'il n'aille noyer son chagrin avec la belle inconnue. On le sait , amour et alcool font des ravages.
RépondreSupprimerL'alcool libère généralement les pulsions les plus destructrices de soi-même et des autres.
SupprimerLa solitude semble être le malheur le plus partagé du monde.
RépondreSupprimerEt son corollaire, l'attente, est l'occupation la plus courante qui soit...
La solitude est l'ultime poison qui détruit l'être humain définitivement quand elle s'installe dans l'interminable durée qui étouffe la vie.
SupprimerC'est juste que nous sommes des êtres sociaux par nature, ontologiquement fabriqués pour un vivre ensemble à construire harmonieusement. Et qu'une société qui s'échine à créer tout ce qui favorise la solitude humaine contient en elle-même sa propre destruction.
Et cette époque qui valorise l'individualisme nous détruira bientôt.
Boire pour oublier, n'est pas une très bonne idée, mais ne jugeons pas, la solitude, la tristesse, les soucis, peuvent conduire à sombrer dans l'alcool hélas, c'est aussi ajouter du malheur au malheur.
RépondreSupprimerEspérons que tout comme l'autre personnage, une bonne âme surgisse et l'entraîne vers et dans un autre univers.
belle journée
Effectivement, constater n'est pas juger.
SupprimerPour avoir effectué du coaching pour aider les équipes dirigeantes des AA, je sais qu'elles sont nombreuses les « bonnes âmes » qui tendent à mener vers un autre paradigme.
Elles ont l'humilité de travailler dans les souterrains des détresses humaines, et parfois l'abnégation de supporter le constat de l'insupportable.
Honneur leur soit rendu.
Nous ne saurons jamais si son chéri est arrivé puisque tu regardais ailleurs !
RépondreSupprimerJe te laisse le soin d'aller voir ce qu'il en est… !
SupprimerJe pense que le chéri n'est pas venu et qu'elle a continué à boire.
RépondreSupprimerJe crois, hélas, que même s'il est venu elle va continuer à boire…
Supprimerà moins que…
Je me retrouve plus dans la deuxième femme qui se jette dans les bras de son aimé ( bien que moi, je ne suis jamais en retard. L'autre, par contre, avec son regard dans le vague, décoiffée et mal attifée ne m'inspire pas du tout . Je préfère les hommes!
RépondreSupprimerPour ma part cette dernière m'inspire plutôt de la compassion.
Supprimer"Elle et moi on devrait faire un élevage de lapins !"
RépondreSupprimerTu m'as fait rire mais au-delà de ce trait d'humour, tout à ton bonheur d'avoir retrouvé ta nana, ta chérie, tu n'oublies pas la fille seule, tu as une pensée pour elle, une bienveillance qui ne m'étonne pas de toi.
Ah c'est vraiment gentil ce commentaire !
SupprimerIl est vrai que tu me connais quelque peu…
la solitude et la tristesse sont maîtresses de divers maux celui de se noyer dans l alcool a le merite de tenir chaud alors que la noyade l'aurait glacée et peut être tuée la pauvre.
RépondreSupprimerTrève de plaisanterie c'est chouette que tu ais accompagné cette solitude à la compassion d'un autre être humain cela manque tellement en ces temps où nous sommes tous invisibles aux yeux des autres.
C'est juste et à la fois terrible ce que tu dis de cette invisibilité, signe du désintérêt des uns par rapport aux autres qui caractérise un peu trop l'époque.
SupprimerCependant parfois les tordus du corps et de l'âme se reconnaissent par un effet de miroir. Ce n'est pas pour autant que l'on sorte forcément de soi et de chez soi.
J'ai été déçue par l'arrivée de celle qu'il attendait. La femme du bar me semblait bien plus captivante car les personnes insatisfaites le sont souvent à cause de la soif de profondeur qui les habite. Elles ne peuvent se contenter de ce qui contente les gens en général. Alors ce qui semble un vide est plutot de la richesse. kéa
RépondreSupprimerEn effet, j'aurais pu prendre cette direction que tu indiques avec d'ailleurs une grande justesse d'observation que je partage. Cela supposait un texte plus long voire une courte nouvelle. Ça cadre moins avec le côté flash instantané d'une portion de vie qui me semble plus de mise dans ce genre de consignes.
SupprimerFaire court et dense, c'est toutefois possible, mais en l'espèce je n'avais pas beaucoup de temps à consacrer cette semaine à ce « devoir du lundi ». Je suis un peu débordé par d'autres engagements. Mais je garde l'idée intéressante de développer ce que tu dis et à quoi je crois profondément également. (En fait arriver à faire court et dense demande bien plus de temps que délayer dans des milliers de mots…).
Oui, faire court prend du temps et du talent. Ce que j'ai dit me rappelle le film Misery où la folle kidnappe un auteur parce qu'elle n'aime pas la fin qu'il a donné à son livre. En fait j'ai bien apprécié ton texte tel qu'il est et comme tu vois il ouvre la réflexion dans plusieurs directions. kéa
SupprimerIl y a un truc qu'on oublie trop souvent de dire aux femmes, c'est que l'homme de leurs rêves n'existe que dans leurs rêves (ça marche aussi dans l'autre sens, évidemment). Et que le bonheur, au fond, c'est d'abord une affaire entre soi et soi. Ça évite d'attendre tout de l'autre. Ça permet de rester dans la vie. Avec les autres. Tous les autres.
RépondreSupprimer♥
Évidemment, je souscris à tes propos.
SupprimerCela me fait penser à la phrase de Brel : « ils vivront de projets qui ne feront qu'attendre » (Orly)
L'arrivée de l'amant... cest peut-être ça le problème. L'alcool comme remède au couple défaillant
RépondreSupprimerAller, soyons positif, l'amant ne viendra pas. C'est tant mieux, et ce lapin de trop va provoquer le déclic.
Si tu étais resté, tu l'aurais soudain vu se dresser, partir en titubant certes, mais pour la dernière fois et décidée à changer de vie. Ayant pris deux décisions : quitter l'amant qui fait boire, quitter l'alcool.
...
Oh regarde là maintenant, superbe, magnifique, conquérante, quelle élégance.... libérée des choses toxiques !
On pourrait étendre : l'alcool comme espoir de remède à tout dans la vie.
SupprimerSur le fond je te rejoins : accepter de concourir activement à une rupture comme le signe de la victoire qui se prépare, celle qui bientôt fera dire « heureusement qu'il n'est pas venu ! »
Peut-être qu'elle n'attend personne mais elle sent moins seule en étant dans un lieu public et ça laisse l'espoir d'une rencontre inattendue
RépondreSupprimerC'est une bonne hypothèse en effet, qui mènerait à un tout autre récit.
SupprimerCela dit, pour une rencontre inattendue… et positive… faudrait peut-être qu'elle rectifie la position…
merci de ton passage !
Une robe triste comme son âme, tiens, ça me fait envie pour un texte ;)
RépondreSupprimerJoli, ce que vous dites sur le "regard"
Attendre celui ou celle qui ne viendra pas, l'histoire d'une vie, parfois.
Une retrouvaille à laquelle je ne pensais pas du tout. Et cet homme qui se projette dans ce qui aurait pu être sien, l'attente, c'est touchant.
« Une robe triste pour son âme » c'est vrai que c'est un bon thème…
Supprimerle thème de l'attente, c'est quand même assez « porteur » probablement que cela nous concerne tous plus ou moins…
merci pour ce chouette commentaire.
En fait, cette dame, c'est la copine de d'Ellen Andrée, l'actrice et modèle qui pose dans le tableau "L'absinthe" (ou "Dans un café")de Degas.
RépondreSupprimerEn fait, c'est juste qu'elles avaient RV et se sont loupés. Erreur sur les horaires, elles avaient oublié leurs portables et ne pouvaient plus se joindre.
Alors du coup en attendant que l'autre arrive, on boit un coup pour patienter et hop, un deuxième suivit du suivant et hop, on finit pompette !
Que voilà un bon scénario ! Tu me donnerais presque l'envie de faire un autre texte, en particulier en jouant sur des anachronismes.
SupprimerLa pauvre copine pompette et saoulée d'avoir eu à supporter le juke-box parce que le type d'un côté remettait sans cesse deux thunes dans le bastringue pour repasser du Sheila !
Oh mon dieu... Sheila ������
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