Les arbres se parlent entre eux. C'est ce que l'on raconte chez les botanistes. Ils se communiquent des informations, par les racines. Ils s'entraident et se soutiennent mutuellement. Les arbres ont des histoires d'amour.
Les arbres parlent aussi aux hommes. Enfin, ceux qui savent écouter par le regard.
Ce matin, j'en ai rencontré un dans mon quartier. Il levait ses multi-bras au ciel, dans une sorte d'appel plus ou moins désespéré, comme si le printemps naissant l'avait quelque peu abandonné à la saison précédente. Son immobilité le faisait gémir du houppier. Ses rameaux tremblotants semblaient s'écrier :
— « non mais, c'est pas dieu possible ! »
Je me suis arrêté pour compatir.
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photo AlainX |
une dame passa avec son chien, sans s'arrêter, ni réagir à cet appel.
Une jeune mère de famille avec bébé en poussette, fit de même. D’ailleurs elle ne pouvait voir l'arbre, elle avait la tête penchée et ne regardait rien d'autre que son jeune enfant à qui elle souriait, et qui semblait lui répondre par une moue, que, peut-être, elle ne comprenait pas non plus. À quand pouvait bien remonter la dernière fois où elle avait prit le temps d'un échange avec cet arbre. Probablement jamais. Le citadin ne s'intéresse aux arbres qu'à l'occasion des vacances, en forêt. À moins que l'on se mette à la recherche de l'ombre d'un confrère de celui-ci, parce qu'il fait vraiment trop chaud, et que si ça continue le petit va nous faire une insolation.
Il ne fallait pas être grand clerc en arboriculture, pour voir que cet arbre avait déjà pas mal souffert. Il fut victime d'un certain nombre d'amputations, probablement douloureuses, dont il ne s'est jamais véritablement remis. J'en connais des amputés. Ils souffrent du membre qui n'est plus là. Est-ce que les arbres souffrent des branches qu'on leur a enlevées ? Hélas pour eux ils ont eu la mauvaise idée de se laisser planter en pleine ville, et non pas à mille milles de toute terre habitée où ils auraient pu grandir tranquillement, sans être emmerdés par les humains.
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photo AlainX |
Malheureusement je ne pouvais rien faire pour lui. Les plantations voisines avaient commencé à bourgeonner. Lui, rien encore. Je me suis demandé si un arbre pouvait être jaloux du voisinage. S'il pouvait avoir cette jalousie comme la voisine d'en face, parce que sa maison est moins belle et moins grande que celle située de l'autre côté de la rue, qui très certainement appartient à un type plein aux as, comme c'est pas dieu possible.
Alors, je me suis déplacé juste à côté, là où une petite fleur venait d'éclore. J'aurais eu envie de l'offrir à l'arbre pour le faire patienter, mais j'ai pensé que je n'allais pas à mon tour faire subir une mutilation désagréable à ce joli bosquet.
J’ai repris ma route pour rentrer chez moi, un peu le nez au ciel.
Il y avait plein de traînées blanches dans le ciel bleu, laissées par les avions là-haut.
Peut-être que mon arbre aurait aimé voyager.
Peut-être que moi aussi.
Le destin en décide toujours autrement.
Peut-être qu'il n'en fait qu'à sa tête.